Interview alumni : Ismael AZOUAGH, éducateur spécialisé.

Interview alumni : Ismael AZOUAGH, éducateur spécialisé.

Dans cette interview, découvrez Ismaël AZOUAGH, éducateur spécialisé, qui vous partage son parcours, ses expériences et sa vision du métier. À 26 ans, diplômé de l’IRTS Nouvelle-Aquitaine, Ismaël travaille actuellement au centre départemental de l’enfance et de la famille, où il intervient auprès de pré-adolescents dans le cadre de l’accueil d’urgence. 

Pouvez-vous vous présenter ? 

Je m’appelle Ismaël AZOUAGH, j'ai 26 ans. Je suis éducateur spécialisé, diplômé de l’IRTS Nouvelle-Aquitaine. Aujourd’hui, je travaille au centre départemental de l’enfance et de la famille, et plus précisément sur l’accueil d’urgence des pré-adolescents. Concrètement, lorsqu’un procureur ou un juge des enfants prend une décision de placement, c’est souvent notre structure qui reçoit en premier l’enfant concerné.

J’ai suivi ma formation à l’IRTS Nouvelle-Aquitaine en apprentissage. Durant ces trois années de formation, j’ai travaillé en prévention spécialisée dans l’accompagnement des jeunes en errance dans l’espace public. Ces jeunes, âgés de 11 à 25 ans, sont souvent déscolarisés, marginalisés ou en rupture avec leur famille et la société. 

À la fin de ma formation, j'ai voulu approfondir certains aspects théoriques de mon métier. C’est ce qui m’a conduit à poursuivre un master en sociologie à l’EHESS à Paris. Dans ce cadre, j’ai mené un travail de recherche sur le rôle des éducateurs de rue en milieu rural. Parallèlement à mon master, j’ai travaillé à Paris dans une MECS (Maison d’Enfants à Caractère Social) qui accueillait des fratries et des enfants revenant de zones de guerre ou en lien avec des réseaux djihadistes. 

Aujourd’hui, je poursuis un Master 2 en protection de l’enfance à l’Université Paris-Panthéon-Assas. L’objectif est d’apporter une expertise juridique et sociale approfondie sur la justice des mineurs et la protection judiciaire de l’enfance.

En quoi consiste exactement votre métier d’éducateur spécialisé ?

Le métier d’éducateur spécialisé est très vaste et varie en fonction des établissements et des publics avec lesquels nous travaillons.

En foyer d’accueil d’urgence, nos missions peuvent se résumer en quatre grandes étapes :

  1. Accueillir : lorsqu’un enfant arrive dans notre structure, nous devons l’accueillir dans les meilleures conditions possibles pour atténuer son stress et son angoisse.

  2. Observer : nous devons analyser leur état émotionnel et psychologique, observer leur comportement et leurs interactions avec les autres enfants et les adultes.

  3. Évaluer : en fonction des observations, nous réalisons un bilan éducatif, en lien avec les différents services sociaux et judiciaires.

  4. Orienter : une fois l’évaluation terminée, nous transmettons un rapport aux magistrats, qui décident de la suite du placement : maintien en structure, retour en famille, orientation vers un autre dispositif.

En accueil d’urgence, il faut être extrêmement réactif, car tout peut changer en quelques heures. L’éducateur spécialisé doit être flexible, adaptable et toujours à l’écoute.

Avec quel type de public travaillez-vous ?

Dans notre service d’accueil d’urgence, nous travaillons avec des pré-adolescents âgés de 10,5 à 13,5 ans. Cette tranche d’âge est particulière, car elle se situe entre l’enfance et l’adolescence, une période marquée par des changements physiques, émotionnels et sociaux. L’un des principes fondamentaux de notre structure, c’est l’accueil inconditionnel. Cela signifie que nous accueillons tous les enfants, sans distinction de parcours, de profil ou d’état de santé mentale et physique. 

Quelles sont les principales difficultés de votre métier ?

L’un des plus gros problèmes de la protection de l’enfance aujourd’hui, c’est le manque de budget. L’État a progressivement délégué cette responsabilité aux départements, mais ces derniers n’ont pas tous les mêmes ressources financières. Cela crée de fortes inégalités territoriales : dans certains départements, les structures sont saturées, et les éducateurs doivent accompagner plus de jeunes qu’ils ne le devraient. Cela pose également la question des taux d’encadrement dans les foyers. Il faut aujourd’hui des textes clairs dans l’intérêt d’un accompagnement de qualité pour les enfants confiés et uniformiser une pratique professionnelle.

Un autre problème majeur est le manque de coordination entre les différents services (justice, aide sociale à l’enfance, établissements scolaires, hôpitaux…). Les procédures sont longues et complexes, ce qui ralentit la prise en charge des enfants. Parfois, nous devons attendre des semaines, voire des mois, pour obtenir des décisions judiciaires ou des réponses administratives.

Le lien éducatif est un travail de longue haleine : il faut gagner leur confiance, leur montrer qu’ils peuvent compter sur nous, même lorsqu’ils nous rejettent.

Comment arrivez-vous à créer un lien avec les jeunes ?

Il n’y a pas de recette miracle. Chaque enfant est différent, chaque relation se construit à son propre rythme.

Cependant, il y a quelques principes essentiels qui facilitent la création du lien :

  • Être soi-même : les jeunes repèrent très vite quand un adulte joue un rôle ou essaie de se donner une posture artificielle. Il ne faut pas chercher à être autoritaire pour être autoritaire, ni trop distant sous prétexte de “garder une posture professionnelle”.

  • Créer un climat de confiance : cela passe par de petits gestes quotidiens : écouter, montrer de l’intérêt, proposer des activités, être patient… Parfois, il suffit d’un jeu de société, d’un match de foot ou d’une discussion informelle pour commencer à établir un lien.

  • Ne pas brusquer les choses : certains jeunes ont besoin de temps avant de s’ouvrir. Il faut respecter leur rythme, ne pas chercher à forcer la relation.

  • Accepter que la relation ne soit pas toujours positive : un lien éducatif, ce n’est pas forcément un lien harmonieux. Parfois, il passe par des tensions, des confrontations. Mais tant que la communication existe, il y a une relation.

Personnellement, j’utilise souvent l’humour pour désamorcer les tensions et créer du lien. Beaucoup de jeunes sont dans l’opposition frontale, et l’humour permet souvent de détendre l’atmosphère et de montrer que l’on est accessible.

Quelles actions mettez-vous en place pour aider ces jeunes ?

Tout d’abord, nous avons organisé début mars 2025 un atelier sur la vie affective et sexuelle pour des jeunes de 13-14 ans. À cet âge, les questions sur l’amour, le consentement, les relations deviennent très présentes. Nous avons choisi d’utiliser le dessin et la peinture comme supports pour qu’ils puissent exprimer leur représentation du consentement et des relations. Cela a permis d’ouvrir un espace de parole, où les jeunes ont pu poser leurs questions et déconstruire certains stéréotypes.

Certains jeunes ont un parcours scolaire marqué par des interruptions et des changements fréquents. Il existe un dispositif appelé “L’école autrement”. C’est un service à part entière du CDEF qui peut intervenir, à notre demande, sur notre service pour accompagner des jeunes dans leur scolarité. C’est un dispositif innovant qui permet d’accompagner les difficultés avec beaucoup plus de souplesse et de pédagogie qu’une scolarité ordinaire. Bien que l’objectif reste la rescolarisation de l’enfant.

L’objectif est de leur permettre de retrouver une dynamique d’apprentissage, sans subir la pression d’un cadre scolaire trop rigide.

Pourquoi avoir choisi ce métier en particulier ?

J’ai choisi ce métier parce que j’ai toujours été attiré par l’humain et le secteur social. Depuis mon enfance, je me suis impliqué dans des activités associatives, et mon engagement en service civique m’a permis de découvrir plus concrètement ce qu’était le métier d’éducateur spécialisé. En rencontrant des professionnels du secteur, j’ai compris que c’était ce que je voulais faire : être aux côtés des jeunes pour les aider à surmonter leurs difficultés.

Mon combat, c’est la protection de l’enfance. Je pense que chaque enfant, peu importe son parcours, mérite une chance de s’épanouir et d’être accompagné de manière adéquate. Je me bats pour que la protection de l’enfance ne soit pas uniquement une question d’administration ou de logistique, mais que l’on prenne réellement en compte l’intérêt supérieur de l’enfant. Je milite aussi pour plus d’égalité dans la prise en charge des jeunes, car selon le département où ils vivent, l’accompagnement peut être très différent. Ce n’est pas acceptable, et je pense que tout enfant mérite les mêmes opportunités, peu importe où il vit.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite s’engager dans ce métier ?

Je conseillerais à quelqu’un qui souhaite devenir éducateur spécialisé d’être fidèle à soi-même. Ce métier exige beaucoup d’authenticité et de transparence. Il est important de ne pas essayer de jouer un rôle ou de se conformer à ce qu’on pense que l’on attend de nous. Être sincère avec soi-même et avec les jeunes est fondamental, car cela instaure la confiance.

Je dirais aussi qu’il ne faut pas avoir peur de prendre des risques et de sortir des sentiers battus. Il arrive qu’on se sente un peu perdu face à une situation, mais il faut oser, essayer de nouvelles approches, même si elles semblent un peu osées. Parfois, c’est dans ces moments-là qu’on fait de vraies avancées avec les jeunes.

Enfin, je préviendrais que ce métier demande une grande implication émotionnelle. Il ne s’agit pas seulement d’accompagner, mais aussi de comprendre et de ressentir ce que vit l’autre. Il faut accepter que les choses ne se passent pas toujours rapidement, et que chaque jeune a un rythme différent. Le plus important, c’est de rester présent, d’être bienveillant et d’accompagner chaque jeune avec patience et respect.

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